Friday, June 03, 2005

Aparté I - Trois portraits

I) Haute comme trois pommes et mince comme un haricot, la peau tannée et fripée par le temps, la petite Prema court du jardin à la cuisine. Deux épingles de nourrice tiennent son haut - en coton d'un jaune mal défini et agrémenté par une multitude de taches sans doute aujourd'hui indélébiles ajusté, en guise de jupe un morceau de tissu noué autour de sa taille, entre les deux une ligne sombre : son ventre. Jamais une paire de semelles ne la sépare de la terre, c'est toujours nus pieds qu'elle parcourt la maison ou le gazon. Posé sur ses épaules, un tendre visage émacié dont la chevelure grise est tirée en arrière, nouée en chignon. Si le visage s'immobilise on remarque des joues creusées avec des pommettes saillantes, un petit nez bien rond et des oreilles légèrement au vent, ornées de deux petites boucles dorées. Lorsque son visage s'éclaire c'est un feu d'artifice d'où surgit au coeur de ses yeux noirs légèrement cernés de bleu une lumière joyeuse qui entraîne un large sourire ouvrant sur trois perles blanches au centre d'une bouche partiellement édentée ...les pommettes à cet instant se remplissent et gonflent comme deux ballons prêt à s'envoler. Un rire en deux tons, sans doute autrefois cristallin accompagne cette transformation et ses deux bras fins et longs s'agitent pour signifier son contentement.


II) Recroquevillé sur son lit, le visage couvert d'une serviette à carreaux orange et vert, il est tourné vers le mur. Un sarong sale et une chemise à col dont la couleur initiale a du être blanche. Un demi tour, une lâche prise de la serviette et le visage perdu dans un lointain inaccessible fait face... il est ailleurs totalement hors du monde qui l'entoure. L'oeil gauche, vitreux, compense à peine l'oeil droit quasi inexistant mais parfaitement suppurant. La bouche refuse de s'ouvrir et les lèvres épaisses remuent en d'innombrables grimaces. Soudain les bras se mettent en mouvement pour tenter de communiquer avec le monde d'ici bas, le pouce décrit un balancement de droite à gauche au niveau de la gorge, puis la même main se dirige vers cet iris globuleux tentant de le garder ouvert entre le pouce et l'index. Le geste suivant lent et précis conduit sa main vers ses oreilles infirmes. L'unique oeil continue à fixer terriblement l'interlocuteur captif mais impuissant. La lèvre inférieure retroussée, toujours en mouvement, avide de trouver les mots qui ne viendront pas. Epuisé il repose sa tête sur cet oreiller d'un bleu crasseux avant de replonger dans sa solitude propre.

III) Son sari bleu trois fois noué autour de la taille, le mètre de tissu restant précieusement repassé en un pliage savant retombe sur ses épaules découvertes. Le petit haut ajusté souligne ses seins et laisse entrevoir son ventre. Sa longue chevelure noire est maintenue par deux broches et son visage figé par la cérémonie. Est-ce la même femme qui se retrouve quelques temps plus tard en tenue occidentale : pantalon noir et haut décolleté, laissant paraître un large médaillon en forme de coeur. Cette même femme au regard froid et statique illumine maintenant la piste de son sourire éclatant qui accompagne la luminosité saisissante de deux pupilles d'un noir profond. Sa présence se dessine dans ce corps en mouvement qui ondule en douceur sans se soucier de la cacophonie musicale en arrière fond. Je suis cette partenaire totalement subjuguée et hypnotisée par ce regard intense qui ne se détache pas du mien des heures durant, vaincue je baisse les yeux à plusieurs reprises mais toujours je les relève comme aimantée.

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